Comment (re)mobiliser vos équipes en les intéressant réellement au capital de votre société ?
18 avril 2023
Retrouvez également, en fin d'article, le replay vidéo de la formation dispensée par OMADA, dans le cadre de l’accompagnement des stratups intégrées aux programmes Founders Hub et ISV Success de Microsoft
Alors que l’écosystème startup traverse depuis plusieurs mois une zone de turbulences en rupture totale avec la tendance haussière (hausse des valorisations, hausse des montants investis) qui a caractérisé les années 2020-2021, nous avons souhaité observer la situation du côté des équipes, des salariés de startups qui sont en première ligne face à cette zone de turbulences.
En ce début d’année 2023, on peut faire au moins un double constat qui intéresse particulièrement les salariés de startup :
La contraction du marché qui complique les levées de fonds, pousse aux down rounds (e.g. Stripe, Klarna) et à des licenciements (e.g. Payfit en France) peut légitimement inquiéter les employés du secteur de la tech et de l’innovation au sens large et plus globalement les salariés du secteur des sociétés financées par des fonds privés.
La promesse pas pleinement remplie à ce stade de l’intéressement au capital des équipes : les BSPCE et les stock-options (voire les AGA dans une moindre mesure) sont trop souvent présentés comme des bonus ou des primes futurs alors que l’on a le recul aujourd’hui pour constater que, dans des sociétés non cotées, ces outils sont très loin de permettre systématiquement à leurs bénéficiaires de réaliser un gain financier.
Ce constat peut être sombre et amer pour les salariés qui ont fait le choix de rejoindre une startup et qui ont accepté une faible visibilité à moyen-long terme dans leur vie professionnelle (« la société dans laquelle je travaille sera-t-elle encore en vie dans 1 an ? ») en échange de l’excitation suscitée par l’ambition et le développement rapide du projet porté par leur société et parfois d’un effort sur leur rémunération en tablant sur la perspective de pouvoir bénéficier, un jour, de la prise de valeur de leur société en « touchant une part du gâteau ».
Côté fondateurs et dirigeants, c’est peut-être précisément le bon moment pour accorder une attention toute particulière à vos salariés et valoriser pleinement les avantages que vous leur octroyez afin de préserver au maximum leur motivation et ainsi traverser la zone de turbulences actuelle en bénéficiant de leur pleine et entière implication.
Pour vous permettre d’optimiser l’intéressement au capital de vos équipes, nous vous proposons un descriptif des différents outils à votre disposition (I), de leurs avantages et inconvénients respectifs (II) et des pistes de réflexion pour assurer la liquidité des titres de vos salariés (III).
I. Les différents outils d’intéressement au capital à destination des startups
Disclaimer : attention, les développements qui suivent s’appliquent à des sociétés non cotées.
Le droit français met à disposition des dirigeants/fondateurs de startups et de sociétés non cotées trois principaux outils d’intéressement au capital de leurs équipes : les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), les attributions gratuites d’actions (AGA) et les options de souscription ou d’achat d’actions communément appelées « stock-options » (SO).
Dans une société par actions non cotée, on peut résumer les caractéristiques et le fonctionnement des BSPCE, AGA et SO comme suit :
a. BSPCE
b. AGA
c. SO
II. Les avantages et les inconvénients de ces différents outils
Avant de mettre en parallèle les principaux avantages et inconvénients de ces différents outils, rappelons qu’un pan important de ces avantages/inconvénients trouve son origine dans le régime fiscal et social qui leur est applicable. Ce régime fiscal et social pèse souvent largement dans la balance du choix d’un outil d’intéressement plutôt qu’un autre. C’est pourquoi nous en synthétisons les grandes lignes ci-dessous. Attention, la fiscalité étant une matière particulièrement mouvante, n’hésitez pas, si besoin à vous faire accompagner par un avocat spécialisé, étant précisé qu’il sera opportun pour les bénéficiaires non fiscalement domiciliés en France de solliciter, le cas échéant, un conseil compétent en droit du lieu de leur domiciliation fiscale sur les implications sociales et fiscales les concernant.
En synthèse, les avantages et inconvénients de ces mécanismes sont les suivants :
III. La liquidité des titres des salariés
Rappelons que les startups françaises sont dans leur immense majorité des sociétés non cotées de sorte qu’elles ne peuvent pas se prévaloir de l’existence d’un marché institutionnel de revente des titres sous-jacents aux BSPCE/AGA/SO attribués à leurs salariés. Cette absence de liquidité structurelle n’est pas sans poser problème.
En effet, cette absence de liquidité fait de plus en plus débat dans l’écosystème (nous vous renvoyons vers un article que nous avons publié en 2022 sur le sujet : https://www.omada-avocats.com/post/les-bspce-tiennent-ils-toutes-leurs-promesses) et même au-delà puisque la presse généraliste s’en est fait l’écho (https://ewww.lemonde.fr/economie/article/2022/01/11/pour-les-salaries-de-start-up-le-mirage-des-stock-options-a-la-francaise_6108991_3234.html).
A date, pour les sociétés non cotées, il n’y a pas de mécanisme légal et obligatoire permettant d’assurer la liquidité des actions auxquelles les BSPCE/AGA/SO peuvent donner droit.
Dirigeants, si vous voulez faire un geste fort pour pallier ce vide, si vous voulez être innovants et prescripteurs en la matière, vous pouvez faire en sorte de permettre cette liquidité.
Petite parenthèse à ce stade : fortes de ce constat, depuis quelques années, des sociétés ont développé des plateformes dont le rôle est de faciliter l’achat-revente des titres des salariés de startups qui détiennent de BSPCE, AGA ou SO. Le recours à ces plateformes n’est pas toujours bien accueilli par les dirigeants et les investisseurs principaux qui souhaitent souvent avoir un minimum de contrôle sur l’identité des nouveaux actionnaires de la société. Après tout, les BSPCE, SO et AGA sont attribués intuitu personae, c’est-à-dire en raison de l’identité précise des bénéficiaires de sorte qu’ils sont incessibles (au moins jusqu’à la fin de période de conservation pour les AGA) et ne peuvent donc être transmis. De même, les mini-pactes d’actionnaires signés par les titulaires de BSPCE/AGA/SO au moment de l’attribution prévoient toujours en principe une clause de préemption, qui leur est opposable, et une clause de cession forcée en cas de cessation des fonctions salariées au sein de la société. Il n’est donc pas nouveau que le transfert des actions des salariés titulaires de BSPCE/AGA/SO fasse l’objet d’un contrôle scrupuleux de la part des sociétés au capital desquelles ils ont accès et suscite la réticence des dirigeants et investisseurs de ces dernières.
Au-delà de ces plateformes, vous avez, en tant que dirigeants, au moins deux moyens à votre disposition pour faciliter voire garantir la liquidité des titres de vos salariés et leur permettre de faire la plus-value qu’ils espéraient faire en se voyant octroyer des BSPCE/AGA/SO.
a. Faire acheter les actions des salariés par les investisseurs de la société
Il n’est pas rare qu’à l’occasion d’un tour de financement des investisseurs acceptent d’allouer une partie du montant de leur investissement au rachat d’actions d’associés de la société : on parle de cash out. Si dans la plupart des cas, une opération de cash out a surtout vocation à permettre aux fondateurs de vendre une petite partie de leur détention capitalistique afin de pouvoir bénéficier de liquidités ou de faire sortir des actionnaires minoritaires historiques (notamment ceux qui ont investi à l’occasion de la toute première levée de fonds), il n’est pas interdit d’envisager de négocier avec les investisseurs qu’une partie de leur investissement serve à racheter les actions émises dans le cadre de l’exercice de BSPCE, de la levée de SO ou de la survenance de la fin de la période de conservation d’AGA.
De la même façon qu’il est possible de mettre en avant des arguments justifiant le rachat par un ou plusieurs investisseurs :
d’une partie des actions des fondateurs (en leur permettant de bénéficier de liquidités qui les aideront à réaliser un projet personnel, c’est l’implication et l’engagement des fondateurs qui sont préservés) ou
de tout ou partie des actions de minoritaires historiques (en leur permettant de sortir, cela simplifie la table de capitalisation, cela diminue le nombre de parties prenantes et c’est donc la gestion globale de l’actionnariat qui est simplifiée),
il est possible de mettre en avant des arguments justifiant le rachat par un ou plusieurs investisseurs de tout ou partie des actions des salariés de la société : en rachetant ces actions et en permettant aux salariés de réaliser un gain financier qui leur a souvent été promis comme complément d’une rémunération pas toujours à la hauteur de leurs espérances/exigences, les salariés peuvent gagner en confiance (« mon boss fait ce qu’il dit ») dans la société et son équipe dirigeante et nourrir l’envie de continuer à s’impliquer dans la société sur la durée, ce dont les fondateurs et les investisseurs peuvent, directement ou indirectement, bénéficier à court, moyen et long terme.
Il est probable qu’à l’occasion d’une levée de fonds, les investisseurs n’acceptent pas de mettre de l’argent sur la table pour i) faire sortir des minoritaires historiques, ii) racheter une partie des actions des fondateurs et iii) racheter une partie des titres des salariés titulaires de BSPCE/AGA/SO car cet argent n’ira pas remplir les comptes de la société (et financer directement le développement de la société) mais les poches d’actionnaires. Il conviendra probablement de faire un choix et d’aborder les négociations avec vos investisseurs en conséquence. En particulier, vous aurez peut-être besoin de sacrifier la revente d’une partie de vos actions pour permettre à vos salariés de voir concrétisée la promesse de gain financier qui leur a été faite au moment de l’attribution de BSPCE/AGA/SO.
b. Faire acheter les actions des salariés par la société elle-même
Il est également possible d’offrir la possibilité à vos salariés de céder leurs actions en dehors de toute levée de fonds de la société et plus généralement en dehors de toute opération exceptionnelle (et donc non récurrente) de la société : dans le cadre de fenêtres de liquidité régulières et prédéfinies permettant aux salariés de vendre leurs actions à la société.
Pour mettre cela en place, il convient de prévoir dans la documentation d’attribution des BSPCE/AGA/SO une promesse d’achat consentie par la société aux titulaires de BSPCE/AGA/SO portant sur les actions que ces derniers pourraient obtenir grâce à leurs BSPCE/AGA/SO.
Les modalités précises de cette promesse d’achat devront être détaillées dans la documentation d’attribution. En particulier, nous vous recommandons de prêter une attention particulière aux points suivants :
Les actions concernées par la fenêtre de liquidité : il va de soi qu’une telle promesse d’achat ne peut porter que sur des actions, ce qui suppose que les salariés concernés aient vesté leurs options et qu’ils soient en mesure d’exercer tout ou partie de leurs BSPCE, de céder tout ou partie de leurs AGA acquises ou de lever tout ou partie de leurs SO.
Afin d’encadrer l’exercice des fenêtres de liquidité et d’empêcher les exercices intempestifs de ces fenêtres de liquidité, il peut être judicieux d’exiger qu’un certain pourcentage de BSPCE/AGA/SO soit vestés pour pouvoir utiliser la fenêtre de liquidité.
Les conditions et modalités financières de l’exercice de la fenêtre de liquidité :
Puisque la fenêtre de liquidité prend la forme d’une promesse d’achat d’actions, il est nécessaire de figer, dès l’octroi de cette promesse, le prix d’achat des actions. Ce prix d’achat des actions de vos salariés doit être déterminé (i.e. vous décidez de figer un prix « gravé dans le marbre ») ou déterminable (i.e. vous fixez une formule de calcul du prix sur la base de critères de performance économique tels que le chiffre d’affaires ou l’EBIT ou autre).
Afin de ne pas mettre la société en situation de stress financier, il est recommandé de prévoir que les salariés pourront faire usage de cette fenêtre de liquidité si et seulement si certaines conditions financières internes à la société sont remplies. Vous pouvez par exemple prévoir que la fenêtre de liquidité ne pourra être utilisée au titre d’un exercice donné que si les comptes sociaux de la société pour cet exercice présentent une trésorerie d’un montant minimum prédéfini ou si la société a dégagé un bénéfice au titre de l’exercice concerné et dépassant un certain seuil. A vous de dessiner et déterminer les seuils pertinents qui vous permettront d’offrir de la liquidité à vos salariés sans mettre pour autant en péril la situation financière de la société.
Dans le même ordre d’idée, vous pouvez décider que pour chaque fenêtre d’exercice, la société dépensera une somme maximum prédéfinie de manière fixe (par exemple 250.000 euros par fenêtre de liquidité) ou variable (par exemple un pourcentage de la trésorerie disponible). Il conviendra de définir les règles de répartition de cette enveloppe maximum si le prix total d’achat des actions pour lesquelles des salariés décident de faire usage d’une fenêtre de liquidité donnée dépasse le montant de l’enveloppe maximum (par exemple en prévoyant d’appliquer un prorata par rapport au nombre total d’actions pouvant théoriquement être achetées dans le cadre de la fenêtre de liquidité).
La définition de la fenêtre de liquidité : afin de rationaliser le processus pour la société et inscrire cette mécanique dans la durée, il nous semble important de prévoir des fenêtres régulières et d’en limiter la fréquence (idéalement annuelle - vous pouvez par exemple prévoir qu’au titre de l’année N, la fenêtre d’exercice pourra être d’une durée de 30 jours calendaires à compter de la notification par la société aux salariés de l’approbation des comptes de l’exercice social N par les associés de la société).
Attention, la société ne pourra pas faire exactement ce qu’elle veut dans le cadre de l’achat de ces actions car l’auto-détention par une société de ses actions est strictement encadrée par la loi française.
A notre sens, vous avez deux façons principales de procéder au niveau de la société pour racheter les actions de vos salariés :
Soit la société fait une réduction de capital par le rachat suivi de l’annulation immédiate des actions de vos salariés. Cette réduction de capital est une réduction de capital non motivée par des pertes régie par l’article L225-207 du code de commerce. Ce régime présente trois caractéristiques majeures pour vous : i) la société devant proposer à tous les associés sans exception le rachat d’un nombre d’actions, il convient de vous coordonner avec les associés et de vous assurer que les associés non-salariés renonceront bien à proposer le rachat de leurs actions par la société, ii) dans la mesure où les actions sont achetées pour être annulées immédiatement dans la foulée, le nombre d’actions pouvant être achetées par la société n’est pas limitée par le code de commerce, et iii) l’annulation des actions entraînera une relution automatique des associés existants.
Soit la société rachète les actions (sans obligation de faire une offre de rachat à tous les associés) avec la volonté, dans l’année qui suit leur rachat, de les « remettre en circulation » en les attribuant en tant qu’AGA ou en consentant des options d’achat d’actions à des salariés. Ce rachat est régi par l’article L225-208 du code de commerce et suppose pour son application que la société respecte les conditions suivantes : i) la société ne peut détenir à aucun moment plus de 10% du total de ses propres actions, ii) l’achat d’actions de la société ne peut avoir pour effet d’abaisser les capitaux propres à un montant inférieur à celui du capital social augmenté des réserves non distribuables et iii) la société doit disposer de réserves (autres que la réserve légale) d’un montant au moins égal à la valeur de l’ensemble des actions qu’elle auto-détient.
A noter que vous pouvez en théorie également faire appel aux dispositions de l’article L225-209-2 du code de commerce dans le cadre d’un programme de rachat mais ce régime est moins souple que celui de l’article L225-208 du code de commerce notamment en ce qu’il impose l’intervention, en plus de celle du CAC de la société ou d’un CAC ad hoc si la société n’a pas de CAC titulaire, d’un expert indépendant chargé d’apprécier les conditions de fixation du prix des actions et exige que le prix d’achat des actions soit compris dans la fourchette de prix proposé par l’expert indépendant.
A vous de jouer !
Replay vidéo de la formation dispensée par OMADA, dans le cadre de l’accompagnement des stratups intégrées aux programmes Founders Hub et ISV Success de Microsoft
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