Notre mise à jour sur la prise en compte d’une décote dans la fixation du prix d’exercice des BSPCE
Début 2024, nous vous avions proposé un article sur les principes applicables à la fixation du prix d’exercice des BSPCE.
Cet article faisait suite à l’éviction d’un amendement déposé fin 2023 dans le cadre de la loi de finances pour 2024 prévoyant expressément la possibilité de déterminer le prix d’exercice des BSPCE conformément aux méthodes objectives retenues en matière d’évaluation de titres, ce qui aurait dû permettre d’appliquer des décotes d’illiquidité.
Malgré la non-adoption de cet amendement, une position officielle de l’administration fiscale sur cette question était attendue.
Cette position officielle, prenant la forme d’une mise à jour du Bulletin Officiel des Finances Publiques (Bofip), a été publiée en mars dernier.
Aussi, nous avons décidé de compléter notre précédent article à la lumière de la mise à jour du Bofip.
Après un rappel de ce que la loi et l’administration fiscale prévoient désormais de façon combinée concernant la fixation du prix d’exercice des BSPCE, nous vous ferons part de notre avis sur cette mise à jour du Bofip.
Ce que dit le Code général des impôts sur les décotes
Le texte de l’article 163 bis G du Code général des impôts (CGI) n’a pas évolué.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 163 bis G du CGI précise ainsi toujours deux choses :
Que le prix d’exercice des BSPCE doit être fixé au jour de leur attribution,
Que si une augmentation de capital est intervenue dans les six mois qui précèdent l’attribution des BSPCE, le prix d’exercice des BSPCE doit être fixé en fonction du prix par action déterminé dans le cadre de cette augmentation de capital.
Plus précisément, le CGI indique que :
lorsque la société a procédé, dans les six mois précédant l'attribution de BSPCE, à une augmentation de capital par émission de titres conférant des droits équivalents à ceux attachés aux actions sous-jacentes aux BSPCE, le prix unitaire d’exercice des BSPCE est au moins égal au prix de souscription des titres émis dans le cadre de cette augmentation de capital, diminué le cas échéant d'une décote correspondant à la perte de valeur économique des titres de la Société depuis l’augmentation de capital ;
lorsque la société a procédé dans les six mois précédant l'attribution des BSPCE à une augmentation de capital et lorsque les droits attachés aux actions sous-jacentes aux BSPCE ne sont pas au moins équivalents aux droits attachés aux titres émis lors de cette augmentation de capital, pour déterminer le prix unitaire d’exercice des BSPCE, le prix de souscription des titres émis dans le cadre de l’augmentation de capital peut être diminué le cas échéant d'une décote correspondant à cette différence de droits.
En revanche, le CGI ne dit toujours rien concernant les hypothèses dans lesquelles aucune augmentation de capital ne serait intervenue dans les six mois qui précèdent l’attribution des BSPCE.
Ce que précise le Bofip sur les décotes
La mise à jour du Bofip de mars 2024 est venue apporter des précisions à la fois lorsque la société a procédé à une augmentation de capital dans les six mois précédant l’attribution de BSPCE et lorsque la société n’a pas procédé à une telle augmentation de capital dans ce délai de six mois.
2.1. Lorsqu’une augmentation de capital n’est pas intervenue dans les six mois qui précèdent l’attribution de BSPCE
Le Bofip est venu préciser que, de manière générale, le prix d’exercice des BSPCE « peut notamment » être déterminé à la juste valeur des actions sous-jacentes aux BSPCE au jour de l’attribution, conformément aux méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation de titres.
Les méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation de titres, qu’est-ce que c’est ?
Ce sont les méthodes d’évaluation des titres de sociétés cotées et non cotées préconisées par l’administration fiscale qu’elle recense dans son guide intitulé « L’évaluation des entreprises et des titres de sociétés » et qui ont, selon l’administration fiscale, vocation à aboutir aux estimations les plus fines et les plus complètes possibles (https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/1_metier/1_particulier/EV/1_declarer/180_isf/fichedescriptive_4166.pdf).
Concernant les titres de sociétés non cotées, l’administration fiscale préconise de rechercher leur valeur i) par comparaison, soit à partir d’une cession ou d’un transfert de moins de 2 ans des titres dont l’évaluation est recherchée, soit à partir de l’évolution des valeurs boursières de sociétés cotées très proches structurellement et financièrement des sociétés non cotées dont on recherche la valeur des titres ou encore à partir de transactions de sociétés non cotées dans le même secteur d’activité et 2) à partir de la valeur globale de la société.
Pour plus de détails, nous vous renvoyons vers le guide susvisé.
2.2. Lorsqu’une augmentation de capital est intervenue dans les six mois qui précèdent l’attribution de BSPCE
Si les actions sous-jacentes aux BSPCE ont des droits équivalents à ceux des actions émises dans le cadre de l’augmentation de capital
Si les actions de la société ont subi une perte de valeur économique depuis l’augmentation de capital, pour fixer le prix d’exercice des BSPCE, il est possible d’appliquer une décote au prix des actions émises dans le cadre de l’augmentation de capital de moins de six mois correspondant à cette perte de valeur économique.
Le Bofip est venu préciser que l’application d’une telle décote doit être justifiée par tout élément pertinent permettant d’établir la perte de valeur économique des actions.
Si les actions sous-jacentes aux BSPCE n’ont pas de droits au moins équivalents à ceux des actions émises dans le cadre de l’augmentation de capital
Il est possible, pour fixer le prix d’exercice des BSPCE, d’appliquer une décote au prix des actions émises dans le cadre de l’augmentation de capital de moins de six mois correspondant à la différence entre les droits conférés aux actions émises dans le cadre de cette augmentation de capital et ceux conférés aux actions sous-jacentes aux BSPCE.
Le Bofip est venu préciser que l’application d’une telle décote doit être justifiée par tout élément pertinent permettant d’établir la différence entre les droits conférés et que cette différence de droit peut trouver son origine à la fois dans des clauses statutaires mais également dans des clauses contractuelles, notamment dans toutes clauses d’un pacte d’associés conclu à l’occasion de l’entrée au capital d’un nouvel investisseur.
A titre d’illustration, le Bofip indique qu’une clause d’incessibilité applicable à un titulaire de BSPCE (sous-entendu non applicable à d’autres catégories de titulaires de titres tels que des investisseurs entrés au capital de la société par voie d’augmentation de capital dans les six mois qui précèdent l’attribution de BSPCE) est de nature à constituer une différence de droits autorisant l’application d’une décote. De même, la présence d’une clause de liquidation préférentielle au sein d’un pacte d’associés conclu à l’occasion de l’entrée au capital de la société d’un nouvel investisseur, qui confèrerait à l’investisseur un ordre prioritaire dans la perception du prix de vente de la société par rapport aux titulaires d’actions provenant de l’exercice de BSPCE, est également de nature à constituer une différence de droits autorisant l’application d’une décote.
En résumé, la fixation du prix d’exercice des BSPCE répond aux règles synthétisées ci-dessous :

Ce que nous pensons de l’apport de la mise à jour du Bofip
Que penser des précisions apportées par l’administration fiscale au travers de la mise à jour du Bofip ?
S’il est bienvenu que l’administration soit venue confirmer la pratique déjà largement observée de la prise en compte de la moindre importance des droits contractuels conférés aux actions auxquelles les BSPCE donnent droit dans les sociétés ayant ouvert leur capital à des investisseurs professionnels pour motiver l’application d’une décote dans la fixation du prix d’exercice des BSPCE, la mise à jour du Bofip n’a pas permis une clarification totale des règles de fixation du prix d’exercice des BSPCE.
Tout d’abord, il nous semble regrettable que les règles de fixation du prix d’exercice des BSPCE dans l’hypothèse où aucune augmentation de capital ne serait survenue dans les six mois précédant l’attribution des BSPCE n’aient pas été énoncées de manière franche et limpide.
La formule utilisée par le Bofip « il [le prix d’exercice] peut notamment être déterminé à la juste valeur du titre au jour de l’attribution, conformément aux méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation des titres » laisse trop de place au doute : non seulement l’application des méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation des titres ne semble pas aller de soi et ni être obligatoire mais, en plus, il semble s’agir d’une méthode parmi d’autres sans que l’administration fiscale vienne identifier ces méthodes alternatives et complémentaires.
Ensuite, nous nous interrogeons sur la pertinence du traitement de la prise en compte dans la fixation du prix d’exercice des BSPCE d’une perte de valeur économique de la société émettrice depuis la dernière augmentation de capital de moins de six mois : pourquoi n’autoriser cette prise en compte, et donc l’application d’une décote correspondante, que lorsque cette augmentation de capital a été réalisée par l’émission d’actions dotées de droits équivalents à ceux des actions sous-jacentes aux BSPCE et pas quand l’augmentation de capital a été réalisée par l’émission d’actions dotées de droits supérieurs à ceux des actions sous-jacentes aux BSPCE ?
Pourquoi traiter ces deux situations de manière différente ?
Que la différence de droits soit prise en compte ne devrait pas rendre caduque la prise en compte d’une perte de valeur économique des actions si une telle perte de valeur est survenue entre la dernière augmentation de capital de moins de six mois et l’attribution de BSPCE. Le principe général (en l’absence d’augmentation de capital dans les six mois précédant l’attribution de BSPCE) soufflé par le Bofip de détermination du prix d’exercice des BSPCE à la juste valeur des actions sous-jacentes aux BSPCE au jour de l’attribution des BSPCE nous semble pourtant aller dans ce sens : si une perte de valeur économique des actions est survenue, pourquoi ne pas la prendre en compte pour déterminer le prix d’exercice des BSPCE quand bien même les droits attachés aux actions sous-jacentes aux BSPCE ne seraient pas aussi importants que ceux attachés aux actions émises dans le cadre de la dernière augmentation de capital dans les six mois qui précèdent ?
Nous ne voyons pas bien pourquoi il ne serait pas pertinent ni légitime de prendre en compte une double décote dans un tel cas.
Nous irons même jusqu’à dire qu’il nous parait plus pertinent pour les bénéficiaires de BSPCE de prendre en compte une éventuelle perte de valeur économique des actions de la société plutôt que la différence de droits entre ceux conférés aux actions auxquelles leurs BSPCE donnent droit et ceux, plus importants, conférés aux actions émises dans le cadre d’une augmentation de capital dans les six mois qui précèdent.
Rappelons que les titulaires de BSPCE sont à la recherche, d’une part, d’opportunités de liquidité pour les actions auxquelles leurs BSPCE donnent droit et, d’autre part, de conditions financières satisfaisantes pour la cession de ces actions. Or, même si des clauses restrictives telles que des clauses d’incessibilité (« lock-up ») peuvent limiter les opportunités de liquidité isolées que les titulaires de BSPCE sont susceptibles de se ménager, la réalité est que la solution « reine » de liquidité est la vente de la société, hypothèse dans laquelle les clauses d’incessibilité deviennent sans effet. Là où le bât blesse, que ce soit dans le cadre d’une vente globale ou isolée de leurs actions, c’est dans la « confrontation » entre le prix de vente des actions des titulaires de BSPCE et le prix d’exercice à décaisser pour obtenir les actions sous-jacentes à leurs BSPCE. En effet, pour évaluer la plus-value que les titulaires de BSPCE vont pouvoir réaliser dans le cadre de la vente, il leur faut diminuer le prix de vente, qui reflète la valeur réelle des actions puisqu’il correspond à la valeur acceptée par l’acquéreur, du prix d’exercice de leurs BSPCE lequel ne prend pas toujours en compte les variations imprévisibles, voire parfois erratiques, subies par leur société au gré des différentes prises de participation d’investisseurs au capital. Ces variations, caractéristiques des sociétés non cotées faisant appel à des capitaux extérieurs, gagneraient donc à pouvoir être davantage retranscrites dans la fixation du prix d’exercice des BSPCE y compris (pour ne pas dire surtout) lorsque dans les six mois qui précèdent l’attribution de BSPCE, la société a émis des actions avec des droits supérieurs à ceux attachés aux actions sous-jacentes aux BSPCE, cette hypothèse visant souvent celle de l’entrée d’un investisseur au capital sur la base d’une valorisation dont les liens avec le réel sont parfois bien distendus.
Une dernière remarque sur les précisions apportées par l’administration fiscale concernant la justification à apporter pour l’application d’une décote : cette justification peut provenir de « tout élément pertinent » permettant d’établir, selon le cas, la perte de valeur économique des titres ou la différence des droits. Il n’est pas nouveau que face à l’administration fiscale, il faille documenter ses décisions afin d’être en mesure de les justifier. Pour notre part, nous faisons le choix de lire cette piqûre de rappel, rédigée en des termes très ouverts, comme une invitation à appliquer des décotes sans réserve !
Vous l’aurez compris, le feuilleton des règles de fixation du prix d’exercice des BSPCE n’est pas terminé. Affaire à suivre donc !
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